J  E  A  N  L  U  C         E  P  A  L  L  L  E


ET LE PARLER RÉGIONAL


“Si tu veux parler de l’universel, parles de ton village”

TOLSTOÏ



Depuis très longtemps Jeanluc s’est intéressé au parler régional  qui, dans la région stéphanoise, s’appelle le Parler Gaga. Le Parler Gaga “moderne”, est un Français régional, émanant en grande partie de la langue régionale ancestrale qui est, elle-même, une branche de la langue régionale Arpitane (ou franco-provençale). Il est encore porté par un accent marqué caractéristique, puisque la dernière chose à disparaître dans une langue, c’est sa prononciation, son accent.


Jeanluc à publié, avec Jacques Plaine un dictionnaire de Parler Gaga “Les trésors de Toutengaga” (éditions Actes Graphiques).


Jeanluc a également écrit plusieurs spectacles mettant en scène des personnages utilisant le vocabulaire régional et l’accent typique:


“POUSSEZ-PAS, TOUT LE MONDE MONTERONT SI CHACUN Y MET DU LEUR”


“TACHEZ MOI DE PAS TROP TIRER PEINE”


“VOIS-TU MOI LE RIEN QUE”


“LE PÉTRUS AUX ÉCOLES” avec Pierre Perrin


“LE FESTIN DE LA DRIENNE”


et, à un degré moindre “HUIT JOURS SOUS UNE BENNE”


et à un degré bien moindre encore “LA FONTAINE DÉVIÉ”


Deux florilèges ont été constitués en grande partie à partir de ces spectacles :


“LE MEILLEUR DE TOUTENGAGA”

et

“RECULEZ VERS L’AVANT, C’EST PLEIN DE VIDE”


Tous ces spectacles font une grande place à l’humour, et si le parler régional et l’accent y sont plus ou moins présent, ils sont tout à fait accessibles à des spectateurs étrangers à la région.

L’écriture n’y repose pas uniquement sur les seuls effets comiques dus au régionalisme “folklorique”. Les personnages y ont leur vie propre, avec toutes leurs facettes, celles de la comédie et celles du drame. Le vocabulaire et l’accent n’y ont qu’un aspect de décor, c’est un habillage particulier. Le véritable sujet, c’est l’humanité des personnages.




“Face au rouleau compresseur linguistique d’une mondialisation anglophile, on peut légitimement se demander si la sauvegarde d’un parler «désuet», espèce envoie de disparition, ne représente pas un combat d’arrière garde, voué à l’échec. Pourtant certains vivent cette lutte comme une mission, un sacerdoce. Au delà du langage et parallèlement, on peut remarquer que le développement spectaculaire des moyens de communication audiovisuelle (pas toujours très... net!) précipite l’extinction des accents régionaux, héritage inconscient et véritable de la transmission des traditions orales. On peut aussi s’interroger sur la discrétion, face à cette désertion, des «cultureux» des ministères  de tutelle et des médiocrates institutionnels... (Je me calme!).

Jeanluc Épallle appartient à cette race trop rare de Don Quichotte moderne qui, armés d’un bâton de pèlerin, s’opposent aux moulins à paroles de la bien-pensance ambiante et prétendue universelle. Stéphanois pure souche, il a choisi le théâtre pour défendre haut et fort le parler Gaga. E n fait, c’est un authentique homme orchestre à la fois auteur, comédien, peintre, historien du langage, chanteur, conteur, aphoriste et j’en oublie, créatif à tous les étages. En fait, un véritable artiste, jusqu’au bout des chromosomes. Il a l’âge de ceux qui ont assisté, acteur ou spectateur, à une scission de deux époques, un bouleversement de société, une rupture de civilisation, bref un changement d’ère. Il ne s’agit pas de tomber dans une nostalgie béate (surtout que comme le signale Simone Signoret, elle n’est plus ce qu’elle était) mais, dans ce monde chronophage, de marquer une pause, le temps d’un regard par dessus son épaule.

Que ce soit en «one man show» (pardon, pour l’anglicisme), accompagné de son fidèle complice Joël Dimier, ou de Guest Stars (aïe, sournoise contamination!), il défend, si ce n’est le devoir, le droit de mémoire. Avec humour, avec compassion jamais complaisante, avec sensibilité. On est très loin d’un folklore régional propice à déclencher les rires amusés d’une condescendance parisienne, mais bien dans l’expression d’une véritable culture locale menacée d’extinction.

Les vedettes des spectacles d’Épallle, se sont, avant tout, les gens à travers mots et les expressions, parfois inconnus, parfois oubliés, à l’étymologie parfois douteuse (incertaine), parfois (souvent) intraduisibles, dont on peut s’étonner, chers voisins, qu’ils soient autant circonscrits.

Au carrefour des langues ancestrales, ils sont le reflet d’un mixage, et paradoxalement témoins d’une particularité exacerbée.

L’artiste utilise, sans abuser, l’accent que la même histoire des peuples a légué à la région stéphanoise. Il relève du même paradoxe, à la fois protéïforme et fortement identifiable, pour preuve la perspicace géo-localisation lyonnaise. Certains le trouvent particulièrement disgracieux. Peut-être. Mais il transpire toutes les valeurs propices à ses origines. La solidarité inhérente au monde ouvrier et minier : on se serre plus les coudes sur les boat-people que sur les yatchs (par la force des choses). Les révoltes issues des premières luttes syndicales, l’accueil de ceux ou de leurs parents qui ont été eux-mêmes un jour accueillis, Jeanluc Épallle en tire des récits dont l’humour est souvent teinté d’auto-dérision, dont les événements basculent parfois dans la l’émotion simple et vraie, tragédie ordinaire des vies ordinaires. Il se dégage un humanisme compassionnel, révolté et social, entre Muriel Robin et Bernard Lavilliers.

La langue du pays retrace son histoire, celle des hommes, celle de la rencontre des peuples. Elle permet de savoir d’où on vient, avant de savoir où l’on va. En ce sens, L’œuvre de Jeanluc devrait être qualifié d’utilité publique. Nul ne peut se prévaloir de connaître l’avenir, mais le pessimisme est de mise.

On ne peut que souhaiter à Jeanluc de conserver longtemps l’énergie nécessaire au combat et, pour un temps qu’on espère le plus lointain possible, lorsqu’il poussera son dernier «Ouilla» qu’il y ait encore au moins encore une personne pour chuchoter «Beauseigne»




Michel VALLAYER